À la rencontre de... Julien Tierny

À la rencontre de... Julien Tierny

Directeur de recherches CNRS au sein de notre équipe APR, Julien Tierny est spécialiste de la visualisation et de l'analyse topologique de données massives. Ses recherches ont de nombreuses applications dans des secteurs tels que la chimie, l'énergie, ou encore l'astrophysique...

Q. D’où viens-tu et où vas-tu ?

Je m’appelle Julien Tierny. Je suis chercheur CNRS au LIP6, au sein de l’équipe APR (Algorithmes, Programmes et Résolution). J’ai d’abord fait des études d’ingénieur. Comme la recherche m’intriguait beaucoup, j’ai suivi un master recherche en parallèle de ma dernière année d’ingénieur et j’ai ensuite poursuivi en thèse. J’ai choisi un sujet qui venait d’arriver en informatique et qui suscite aujourd’hui pas mal d’intérêt : les méthodes topologiques pour l’analyse de données. Après cette thèse, j’ai effectué un post-doc de deux ans aux Etats-Unis – une super expérience professionnelle et personnelle que je recommande vivement à tous les doctorants ! À la suite de ça, j’ai eu la chance d’être recruté comme chercheur par le CNRS. J’ai commencé au laboratoire de Télécom Paris (le LTCI), puis j’ai rejoint le LIP6. Cette arrivée au sein de l’écosystème de Sorbonne Université m’a permis de me rapprocher de collègues d’autres disciplines, et de croiser ainsi plein de données et de problèmes intéressants qui nourrissent ma propre recherche. Ici, j’ai eu la chance d'interagir avec des chimistes, des astrophysiciens, des mathématiciens, des géologues, des mécaniciens…. À l’avenir, j’espère bien développer encore davantage ces collaborations qui concrétisent vraiment l’utilité de la recherche que je mène avec mes collègues !

Q. Sur quoi travailles-tu actuellement ?

Je travaille sur l’analyse topologique de données. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un sujet d’étude consacré à l’analyse de données, et qui met spécifiquement en œuvre des outils relevant de la topologie – une branche des mathématiques qui étudie les propriétés structurelles d’objets géométriques. Le but est de représenter des données complexes, d’en extraire des motifs structurels, et de mesurer et comparer ces motifs (voir les figures 1 et 2 pour des exemples). J’ai la chance de piloter un projet européen sur le sujet : l’ERC TORI. Dans ce projet, on s’intéresse à la fois aux aspects calculatoires associés aux invariants topologiques (c’est-à-dire, comment calculer efficacement les propriétés topologiques sur des données massives), ainsi qu’à leur exploitation statistique (c’est-à-dire, comment identifier des grandes tendances ou des motifs de variabilité). Les algorithmes que nous concevons sont implémentés (en C++) dans une bibliothèque open-source qui s’appelle TTK.


Figure 1 : (a) Étant donné un tableau de valeurs (n lignes, m colonnes), on peut considérer que chaque ligne échantillonne un petit voisinage d’un plus large objet, vivant lui-même dans un espace à m dimensions (b). L’analyse topologique de données fournit des outils permettant de comprendre la structure de cet objet, en calculant des invariants topologiques sophistiqués, comme ici le diagramme de persistance (c). Celui-ci permet d’énumérer diverses structures topologiques (en vert : composantes connexes (d), en bleu, structures cycliques (e)) et de leur associer une mesure stable d’importance appelée “persistance”. Dans les applications, ces objets topologiques correspondent souvent à des structures d’intérêt qu’il est utile d’extraire de manière fiable à des fins de comparaison.


Q. Comment s’organise ta semaine ?

De manière générale, j’essaie de m’isoler le matin pour travailler sur les tâches qui me demandent le plus de concentration (e.g. rédaction d'articles). L’après-midi, je passe entre deux et quatre heures avec les doctorants que j’encadre, pour essayer de les aider à faire avancer leur projet de recherche. En général, j’essaie de libérer le vendredi de toute contrainte (enseignements ou réunions) afin de me laisser le temps de lire des articles, de travailler sur la maintenance de notre bibliothèque (TTK), ou simplement de réfléchir à des problèmes.

Q. Qu’est-ce que tu espères accomplir pendant ton séjour au LIP6 ?

De la bonne recherche !


Figure 2 : (a) En astrophysique, pour comprendre les premiers moments de l’univers, les chercheurs simulent sa croissance à très grande échelle en calculant, par exemple, la densité de matière noire (représentée ici en vert). À cette échelle, chaque tache verte représente un amas de galaxies. Au fil de la simulation, ces amas s’organisent spontanément selon un motif appelé toile cosmique (filaments) que les astrophysiciens souhaitent extraire et mesurer afin de comprendre la dynamique des interactions entre amas de galaxies. (b) Le complexe de Morse-Smale est un invariant topologique permettant d’extraire de manière robuste toutes les structures filamentaires au sein d’un jeu de données. (c) La persistance topologique permet ensuite d’isoler les filaments les plus saillants (courbes vert foncé), révélant ainsi la structure principale de la toile cosmique, dans une forme explicite (mesurable et comparable).


Q. Quelle est une chose que les gens ne comprennent pas sur ton sujet ?

La recherche est un métier à compétences très spécialisées. Cela a pour effet qu’on a souvent du mal à se comprendre, même entre collègues ! De mon côté, ma thématique de recherche utilise des concepts géométriques pour lesquels il est relativement facile de fournir des indications, notamment visuelles. Dans les grandes lignes, ma thématique est donc assez simple à expliquer. Les détails sont en revanche parfois plus subtils et demandent un peu de temps pour être bien explicités.

Q. Qu’est-ce qui te passionne à propos de ton sujet ?

J’aime beaucoup l’aspect géométrique (surtout topologique) des algorithmes qu’on met en œuvre. On passe notre temps à réfléchir à des algorithmes permettant d’analyser des formes qu’on visualise d’abord mentalement. C’est très sympathique comme exercice ! J’aime aussi particulièrement l’écriture de programmes (c’est mon côté geek !). L’aspect implémentation pratique de nos algorithmes est donc quelque chose qui me plait, même si c’est souvent très chronophage. Enfin, l’application pratique de nos recherches est vraiment un aspect très positif de ce sujet. Nous concevons des outils que nous mettons ensuite en œuvre pour faire “parler” les données !

Q. Quelque chose à ajouter ?

Si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas à passer par mon bureau ou à m’envoyer un email pour en discuter !