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À la rencontre de... Denis Antipov

À la rencontre de... Denis Antipov

Post-doctorant dans l'équipe RO, Denis Antipov se consacre à l'analyse théorique d'algorithmes évolutifs, une catégorie d'algorithmes qui cherchent à résoudre des problèmes d'optimisation en utilisant un principe d'évolution darwinienne.

This interview is translated from English. You can read the orignal version in our June 2025 newsletter.

Q. D'où viens-tu et où vas-tu ?

Mon nom est Denis Antipov, et mon alma mater est l'ITMO University de Saint-Petersburg en Russie. Cette université est connue pour ses résultats à l'International Collegiate Programming Contest (ICPC), un prestigieux concours de programmation informatique ouvert aux étudiants du monde entier. Bien que je n'ai plus participé à ce genre de compétition après la fin de ma scolarité, j'ai activement pris part à l'organisation d'une phase régionale de l'ICPC (celle hébergée par ITMO University) pendant plus de 10 ans d'affilé. C'est aussi à ITMO University que j'ai commencé ma carrière scientifique, alors que je cherchais un sujet pour mon mémoire de licence. A ce moment, j'ai eu la chance de rencontrer Maxim Buzdalov, le champion du monde de l'ICPC 2009, qui m'a fait découvrir le monde du calcul informatique évolutif.


L'équipe d'ITMO University a gagné l'IPCP 2009. Maxim Buzdalov lève la coupe sur la gauche.

Les algorithmes évolutifs sont utilisés pour résoudre des problèmes dits d'optimisation, c'est-à-dire qu'ils cherchent à trouver la meilleure solution possible à un problème à l'intérieur d'un large éventail de solutions potentielles. Comme leur nom l'indique, ils reposent sur un principe d'évolution naturelle : ils créent d'abord une population de solutions possibles, avant de les améliorer de manière itérative en modifiant et recombinant ces solutions, et en rejetant les moins bonnes. Ce mécanisme, basé sur la loi du plus fort, leur permet de trouver des solutions tout en conservant un faible coût de calcul. Souvent, les algorithmes évolutifs sont utilisés pour trouver une approximation de la meilleure solution possible, lorsque trouver cette meilleure solution serait trop coûteux en puissance de calcul. Un example de leur utilisation réussie est celui du design d'une antenne évoluée pour la NASA, qui devait pourvoir fonctionner avec des gammes de fréquences très spécifiques.


L'antenne spatiale NASA ST5, dite antenne évoluée. Pour aboutir à ce design optimal, un algorithme évolutif a testé des milliers de solutions selon un principe d'évolution darwinienne. Le processus a nécessité à l'algorithme de tourner pendant plusieurs jours sur un supercalculateur. Source.

Une fois que j'ai découvert ce domaine, j'ai commencé à m'intéresser à l'analyse théorique des algorithmes évolutifs, un pan de la recherche qui cherche à comprendre les processus évolutifs d'un point de vue spécifiquement mathématique. Très intéressé par ce sujet, j'ai décidé de quitter l'industrie pour poursuivre la recherche à temps plein. Cela m'a conduit à suivre un double programme doctoral entre ITMO University et l'Ecole Polytechnique (Palaiseau, France). Ensuite, après l'obtention de mon doctorat, j'ai eu l'opportunité de rejoindre le groupe optimisation et logistique de l'Université d'Adelaide en Australie. Là bas, j'ai travaillé sur une étude plus particulière d'optimisation diversifiée, où le but est là de trouver un ensemble diversifié de bonnes solutions, plutôt qu'une seule solution idéale. Enfin, après ça, on m'a proposé un contrat post-doctoral au sein de l'équipe RO (Recherche Opérationnelle) du LIP6, et j'ai déménagé à Paris en septembre dernier.


En général, quand j'explique aux gens mon parcours, il devient surprenant efficace d'utiliser la carte de l'Eurovision.

Mon contrat avec le LIP6 est pour 2 ans de plus, mais je cherche activement un poste permanent dans le domaine de l'enseignement supérieur et la recherche français, avec une forte priorité pour le LIP6. J'espère donc que je pourrai rester ici plus longtemps.

Q. Sur quoi travailles-tu actuellement ?

Actuellement, je travaille avec Carola Doerr sur des études comparatives (benchmarking) pour la configuration paramétrée. L'objectif principal est de trouver des paramètres précis - i.e. un problème et un algorithme paramétré qui résout ce problème, afin que nous puissions prouver, mathématiquement, la stratégie optimale de choix des paramètres de cet algorithme dans chaque état possible. Cela permettrait d'obtenir un terrain d'essai parfait pour tester des méthodes de machine learning utilisées dans le contrôle de paramètres, et donc de pouvoir mieux les comprendre et les améliorer.

En dehors de ce projet principal, je poursuis également mes anciennes collaborations et travaille sur des aspects de l'algorithmique évolutive tels que la noisy optimization (avec Benjamin Doerr, LIX), le parent selection mechanism (avec un groupe multi-institutionnel basé en Allemagne), et l'optimisation diversifiée (avec le groupe d'Adélaide). Ces projets ont été très bénéfiques pour engranger de nouvelles connaissances autour des processus évolutifs. Ils sont encore capables de surprendre la communauté du calcul évolutif avec de nouvelles découvertes.

Q. Qu'est-ce que tu espères accomplir pendant ton séjour au LIP6 ?

J'aimerais développer de nouvelles études comparatives intéressantes autour de mes projets. Le manque de tests de qualité mène à une mauvaise compréhension des performances des différents mécanismes du contrôle paramétré. Developper des environnements dans lesquels on peut observer ces mécanismes dans leur "habitat naturel" nous permettrait de mieux les comprendre, de les améliorer, et de rendre possible une meilleure automatisation des méthodes de paramétrage au delà du domaine de l'optimisation.

Q. Comment s'organise ta semaine ?

Je crois qu'il est impossible de planifier une semaine en France : il y a trop d'évènements, trop de choses qu'on doit faire à différents endroits, et cela rend chaque semaine unique. Honnêtement, j'ai même du mal à suivre un planning journalier, mais dans ce cas là j'ai au moins des préférences : j'aime les matins tranquilles, et je suis plus productif le soir, donc j'essaie de commencer et finir ma journée plus tard que la plupart de mes collègues.

Q. Quelle est une chose que les gens ne comprennent pas sur ton sujet ?

Les gens ne comprennent généralement pas comment la théorie est liée à la pratique, et en particulier à leur problème. Ils me demandent souvent en quoi les recommendations que je fais via l'analyse théorique d'algorithmes évolutifs "simples" sont pertinents pour leurs problèmes pratiques bien plus complexes. La réponse est simple : il n'y a aucune garantie, et il est toujours nécessaire de vérifier (empiriquement) à quel point les observations théoriques sont transférables à la pratique. Toutefois, une longue liste d'exemples réussis existe dans lesquels des recommendations théoriques sont devenues des pratiques standards (par exemple, des recommendations sur la manière de choisir le taux de mutation ou la taille de la population pour différents algorithmes, ou encore sur la manière de contrôler les paramètres d'algorithmes à la volée, c'est-à-dire pendant qu'ils tournent). J'avais espéré qu'en commençant à travailler sur du benchmarking - un domaine qui me semblait bien plus proche du terrain, ces questions n'apparaitraient plus. J'avais tord : les professionnels continuent de me demander ce que mes études comparatives ont à voir avec leur problème...

Q. Qu’est-ce qui te passionne à propos de ton sujet ?

Comment le processus d'évolution fonctionne dans la vraie vie est, probablement, la question la plus importante pour moi, mais c'est tellement complexe et global que je ne m'attends pas à ce qu'on trouve une réponse de mon vivant. Cela dit, je suis très enthousiaste à l'idée d'approcher un peu plus de la réponse, et je trouve particulièrement excitant (et aussi plus réaliste) la possibilité de comprendre un peu mieux le rôle de la recombination dans les processus évolutifs. Il est couramment admis par les professionnels du domaine que les algorithmes évolutifs doivent utiliser des croisements - c'est-à-dire, qu'ils doivent recombiner les gènes de deux solutions "parents", pour créer de nouvelles solutions. Dans la nature, on observe aussi que la plupart des espèces utilise le croisement (à travers la reproduction sexuée), plutôt que la mutation (reproduction asexuée)... et je suis curieux d'en trouver les raisons.

Q. Quelque chose à ajouter ?

Et bien, pendant mon temps libre, je fais de l'escrime ancienne (couramment appelée AMHE, Arts Martiaux Historiques Européens). En particulier, je pratique l'épée à deux mains, donc si vous voulez en discutez ou faire quelques entrainements, je serais heureux d'apporter mon aide.


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Contact : Denis Antipov